Actualité
L’affaire du Lanceur de Fleurs de Banksy
5 août 2023
L’EUIPO met un point final au pouvoir des fleurs
La division d’annulation de l’Office de l’Union européenne de la Propriété Intellectuelle (EUIPO) a annulé la marque figurative n° 012575155 détenue par le street artiste Banksy sur une reproduction de l’œuvre du Lanceur de fleurs, après avoir considéré que le dépôt de la marque avait été effectué de mauvaise foi (affaire n° 33843 du 14 septembre 2020).
La société britannique de cartes de vœux street art Full Colour Black, qui avait reproduit l’œuvre du Lanceur de fleurs (parmi d’autres œuvres signées Banksy) sur ses cartes, a demandé l’annulation de la marque qui avait été enregistrée en 2014 par le biais de Pest Control Offices, agissant en qualité de représentant légal de Banksy.
Cette décision aura coupé court au choix quelque peu inhabituel de Banksy de recourir au droit des marques pour garantir la protection de son portfolio d’œuvres. L’EUIPO a finalement annulé la marque de Banksy, soutenant qu’elle avait été déposée sans aucune intention d’être utilisée dans le cadre de la commercialisation de biens ou de services. Elle ne pouvait donc en ce sens répondre à la fonction du droit des marques, qui est celle de faire usage de la marque dans le cadre de l’activité commerciale.
Une protection théorique au titre du droit d’auteur
La stratégie de Banksy de placer son portfolio artistique sans cesse grandissant sous la protection du droit des marques peut sembler surprenante à première vue. En règle générale, les auteurs cherchent plutôt à faire respecter leurs droits de propriété intellectuelle sur une œuvre via le droit d’auteur.
Le droit d’auteur constitue en effet le mécanisme de protection par excellence pour les œuvres d’art. La protection par le droit d’auteur nait automatiquement, dès l’instant où l’œuvre est mise en forme, sans l’exigence d’aucune autre formalité particulière, et ce pour une durée de 70 ans après le décès de l’auteur originaire (ou 70 ans à compter de la première publication pour les œuvres anonymes selon le droit belge). Le seuil de protection était facilement atteint pour l’œuvre du Lanceur de fleurs, puisque qu’elle (i) avait concrètement pris forme sur le plan artistique (les simples idées, aussi originales ou nouvelles soient-elles, ne sont pas protégeables), et (ii) peut être considérée comme originale, en ce sens que la création reflète la personnalité de son auteur.
Banksy s’est néanmoins toujours efforcé de rendre son art accessible à tous. Il encourage d’ailleurs le public à utiliser et à reproduire ses œuvres à grande échelle. Il fixe toutefois clairement une limite là où son art pourrait servir des fins commerciales. Par le biais du droit d’auteur, Banksy aurait pu – dans une certaine mesure – empêcher ceux qui, comme Full Colour Black, avaient décidé de passer outre cette limite. En effet, pendant toute la période de protection, l’auteur se voit conférer notamment le droit exclusif de contrôler tous les actes de reproduction ou d’exploitation de son œuvre, par exemple à des fins commerciales. La protection par le droit d’auteur présente cependant d’importantes limites que Banksy a cherché à contourner voulant bénéficier d’un niveau de protection supplémentaire sous la forme d’une marque.
Il semble toutefois que dans ce cas-ci, l’EUIPO ait définitivement fermé la porte à la possibilité pour des artistes comme Banksy de bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur tout en restant anonymes. À l’heure actuelle, tous les Etats membres de l’UE ne permettent en effet pas à un auteur anonyme – qui ne peut donc clairement et légalement être identifié comme tel – de bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur.
Une protection impossible au titre du droit des marques
Contrairement à ce qui est le cas pour le droit d’auteur, la protection accordée par le droit des marques ne l’est pas automatiquement. Pour bénéficier de la protection, une demande d’enregistrement du signe comme marque doit être déposée auprès de l’office ou du bureau de marques compétent. Ceci implique une recherche formelle, par un expert de l’organe administratif compétent, ainsi qu’un examen des motifs absolus de refus d’enregistrement. La protection par le droit des marques peut en théorie être octroyée pour toutes sortes de signes, comme des lettres, des couleurs, des formes ou des représentations, comme celle du Lanceur de fleurs de Banksy.
L’essentiel est que le signe dispose d’un caractère distinctif, en ce sens qu’il permet aux consommateurs d’identifier l’origine des produits ou des services sur le marché pertinent et de les distinguer de ceux fournis par d’autres entreprises. Le signe doit également être licite, en ce sens qu’il doit être autorisé en tant que marque. Certains signes ne pourront jamais bénéficier d’une protection au titre du droit des marques, par exemple parce qu’ils portent atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Enfin, le signe doit être disponible, c’est-à-dire qu’il ne doit pas avoir déjà été enregistré en tant que marque. Ceci se vérifie en procédant à une recherche dans les bases de données spécialisées de marques afin de vérifier si des marques similaires/identiques ont été enregistrées pour des produits et/ou services similaires/identiques.
Une fois la marque enregistrée, la protection est initialement accordée pour une durée de 10 ans mais peut ensuite être ultérieurement renouvelée – en théorie – à l’infini. Cela contraste fortement avec la protection limitée octroyée par le droit d’auteur, qui expire de toute façon 70 ans après la mort de l’auteur originaire (ou 70 ans à compter de la première publication pour les œuvres anonymes selon le droit belge). Au-delà de son souhait de rester anonyme, on peut supposer que c’est en raison de cette durée de protection limitée que Banksy s’est tourné vers le droit des marques. C’est en tout cas un des arguments retenus par l’EUIPO dans sa décision, à savoir la monopolisation des œuvres d’art via le droit des marques.
L’enregistrement de la marque n’empêche cependant pas que la marque puisse être annulée. En l’espèce, Full Colour Black s’est fondé pour ce faire sur des motifs absolus de nullité. Puisque ces motifs répondent à l’objectif de protection de l’intérêt général, ils peuvent être invoqués à tout moment et par toute personne intéressée. Full Colour Black a invoqué à ce titre l’absence de caractère distinctif du signe et l’existence de mauvaise foi dans le chef de l’artiste. L’EUIPO s’est concentré exclusivement sur l’examen de la mauvaise foi de Banksy au moment où le dépôt a été effectué.
Comme l’EUIPO l’a fait remarquer, il n’existe aucune définition juridique précise du terme « mauvaise foi ». Il convient donc de l’apprécier sur la base d’autres éléments, notamment l’intention du titulaire d’une marque lorsqu’il a déposé sa demande d’enregistrement. L’EUIPO a rappelé que le titulaire d’une marque doit, dès ce moment-là, avoir l’intention d’utiliser sa marque. Banksy n’avait pourtant jamais réellement commercialisé de produits sous la marque enregistrée avant que Full Colour Black n’en sollicite l’annulation. Banksy s’était également abstenu d’engager des poursuites judiciaires contre ceux qui commercialisaient des produits mettant en scène ses œuvres les plus célèbres. L’ouverture par Banksy d’une boutique (en ligne) dénommée Gross Domestic Product ne pouvait pas non plus servir la cause de l’artiste, puisqu’il a ouvertement déclaré que le lancement de cette boutique était une conséquence directe du litige qui l’opposait à Full Colour Black et visait uniquement à démontrer l’usage de sa marque pour commercialiser des produits.
Tous ces éléments ont conduit l’EUIPO à conclure que Banksy n’avait pas en réalité l’intention d’utiliser la marque au moment du dépôt, mais l’a seulement utilisée par la suite dans le but de contourner l’exigence du droit européen des marques de faire un usage commercial de la marque, obtenant ainsi un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque (l’EUIPO a ici fait référence à sa décision Sky C-371/18).
Les éléments-clés de la décision de l’EUIPO
La décision de l’EUIPO rappelle avec force la fonction économique et intrinsèquement commerciale d’une marque. Les propriétaires de marques doivent utiliser leurs marques dans le cadre de leurs activités commerciales en rapport avec les produits et services couverts par l’enregistrement. À défaut, ils subiront les conséquences de l’annulation de leur marque.
Cette décision rappelle également que les droits de propriété intellectuelle et les droits exclusifs (dans ce cas, sur un signe) qu’ils confèrent à leur propriétaire ne sont pas librement interchangeables, sans prendre en compte les fonctions inhérentes rattachées à chacun de ces droits. Les principes de base doivent rester ceux de la liberté de commerce et de la libre concurrence.
Banksy et son représentant légal ont laissé expirer le délai de deux mois dont ils disposaient pour faire appel de la décision de l’EUIPO sans prendre aucune action sur le plan juridique. Restons toutefois attentifs à une éventuelle déclaration plus artistique.
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